LE RÉEMPLOI DES MATÉRIAUX, AVEC L’AIDE DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Compte-rendu de l’intervention de Mr Edouard Cazamajour, Vice-Président de FEDEREC BTP (Fédération des Recycleurs, France), à l’occasion du colloque du 23 mai 2018 consacré à « l’utilisation des matériaux de réemploi dans un processus créatif », organisé dans le cadre du projet Interreg « RE C² ». Consultez aussi la vidéo complète de l’exposé.
Il y a un défi de taille dans l’objectif de réemploi et recyclage des matériaux : celui de la mise à disposition des matériaux et de la connaissance de l’offre ou de la demande. Comment les nouvelles technologies peuvent-elles y répondre ?
Contexte - Le réemploi pour sauver la planète de la faillite
Theodore Roosevelt dénonçait en 1908 déjà l’enrichissement lié à l’utilisation prodigue des ressources naturelles alors qu’il était temps d’envisager sérieusement l’avenir des forêts et ce qu’il adviendra lorsqu’elles auront disparu, ce qui se passera lorsque les réserves de pétrole, de charbon et de fer seront épuisées, lorsque le sol aura été appauvri et lessivé par les fleuves, polluant les champs et faisant obstacle à la navigation. Alors que les USA étaient précurseurs sur les valeurs de l’économie circulaire avec la COP21, cet accord mondial est complétement remis en cause seulement 2 ans plus tard avec l’arrivée d’un nouveau dirigeant.
Dans ce contexte politique, l’extraction des matériaux est globalement exponentielle, alors que le monde dispose évidemment de ressources finies. En 2030, la planète abritera 1,5 milliard d’êtres humains en plus. Si la planète était une entreprise, elle serait en faillite ! Ecologiquement, on pourrait comparer cela à 33 années de dette de la France, accumulée depuis 1961. Or, plus de 2/3 de l’empreinte écologique est due au logement, aux transports et à l’alimentation. En ce sens, l’optimisation de l’utilisation des ressources est essentielle, que ce soit via le réemploi, le recyclage ou l’écoconception.
Dans le même temps, on constate une très forte disparité entre les réglementations de différents pays ou régions. Ainsi, l’amiante, interdite en France et en Belgique, ne constitue pas un problème en Russie. Au Canada, on continue d’ailleurs d’extraire de l’amiante.
Le marché du BTP est le premier consommateur de ressources et le premier producteur de déchets. C’est bien ici que se trouvent les principaux enjeux liés au réemploi, et c’est pourtant dans le secteur de la construction qu’il est de plus en plus difficile de promouvoir l’utilisation de matériaux de réemploi, car ces matériaux ne permettent pas de gagner la confiance de maitres d’ouvrages qui ont besoin de garanties énormes.
Le marché du BTP dans le monde en 2018 est évalué à approximativement 10.000 milliards de dollars et devrait atteindre les 15.000 milliards en 2025. En 2030, le nombre de chantiers dans le monde devrait doubler : voilà un formidable terrain de jeu pour le réemploi. Cependant, pour que le secteur innove, rentabilité et pérennité doivent être démontrées. Depuis 2008, les entreprises manufacturières et l’industrie lourde ont augmenté leur productivité, tandis que le secteur de la construction a lui, en moyenne, baissé sa productivité. Ce contexte est défavorable à l’expérimentation et à l’implémentation de nouvelles méthodes de déconstruction et de construction en vue du réemploi de matériaux et d’éléments de construction.
Perspectives - Faciliter le réemploi à l’aide des nouvelles technologies
Le digital et l’IoT (Internet of Things, internet des objets) va permettre de mettre en relation des utilisateurs, de favoriser des échanges. Mais une condition importante reste que la relation soit préexistante avant d’être digitalisée. Or, le réemploi de matériau était très bien réalisé à une époque, mais une rupture a eu lieu : les acteurs du secteur doivent se repositionner et voir comment une marche arrière est possible.
Pour FEDEREC, trouver une valeur à un objet ou un matériau, c’est l’essence même du métier de recycleur. L’IoT doit permettre de répondre à des multiples questions : d’où vient le matériau, comment a-t-il été fabriqué, est-il en partie ou totalement recyclable ou réemployable ? L’IoT doit permettre de transformer la manière dont on réalise, utilise et réutilise des éléments. Grâce à la surveillance des performances (feedback vers le constructeur), la maintenance est redéfinie (maintenance prédictive, contrats liés à la performance), le design de nouveaux produits se fera au regard des informations collectées, en visant l’amélioration des composants et de la durée de leur cycle de vie. Certains composants pourront aussi plus facilement intégrer les nouveaux produits ou être valorisés.
Ce processus s’applique au secteur du bâtiment grâce au BIM (Building Information Modeling) qui est une maquette fédératrice, une plateforme collaborative permettant d’injecter un certain nombre de données afin de synthétiser en un lieu unique tout ce qui se passe avant la construction et pendant l’utilisation d’un bâtiment, voire même après. Le BIM ne peut toutefois pas fonctionner seul. D’autres éléments fondateurs sont nécessaires. Le secteur du BTP tout entier doit se structurer, à l’image du secteur de l’automobile qui, depuis 2000, a structuré un système de recyclage et de réemploi de pièces à grande échelle, favorisé par une conception des véhicules anticipant leur fin de vie.
Il est intéressant de constater que sur le marché de l’automobile on est capable de réemployer des pièces, de les certifier et les homologuer pour continuer à entretenir et allonger la durée de vie des véhicules, alors qu’il s’agit là d’un marché extrêmement réglementé puisqu’on parle de la sécurité des usagers circulant sur la voie publique, des avec des contrôles techniques renforcés,...
Cataloguer, partager et tracer les éléments à réemployer
Toutes les entreprises du 20ème siècle ont vécu sur un business model qui était unique toujours optimisé mais sans rupture. L’avenir, en revanche, est constitué de plusieurs modèles économiques différents. Les boucles sont courtes, les ressources se raréfient : on rentre dans l’économie circulaire. On va devoir créer des process qui permettent de s’adapter continuellement et qui change la manière de percevoir les business.
Le digital, grâce à la maquette numérique, permet d’identifier la ressource, ce qui est disponible. Les bâtiments peuvent être cartographiés avec une grande précision, et tous les objets peuvent être identifiés : informer de la disponibilité de matériaux est une étape clé qui pourra être réalisée grâce à la digitalisation du secteur. Aujourd’hui, il existe au moins une trentaine de plateformes en France, parmi lesquelles CycleUP, Matabase et Bacacia (anciennement BatiPhoenix). Plein d’initiative se mettent en place.
En tant que recycleurs, il est essentiel de venir avec des propositions nouvelles car le métier de la construction est très fermé et risque de ne jamais prendre en considération la nécessité de faire évoluer les pratiques en visant davantage de recyclage et de réemploi des matériaux. C’est pourquoi FEDEREC BTP s’est associé au technopôle Domolandes pour créer une nomenclature BIM en open source afin d’identifier la recyclabilité des matériaux, et bientôt le potentiel de réemploi. Ce catalogue de la ressource permettra de commencer à fiabiliser et normer les relations vendeurs-acheteurs sur les plateformes d’échange.
La nouvelle plateforme BatiRIM créée par Suez et un partenaire issu du BTP (Resolving) est la première solution permettant d’identifier la ressource dans un bâtiment de manière à pouvoir la réemployer : un catalogue de la ressource est créé en fournissant une information claire, rapide, juste, et géolocalisée. Encore une fois, ce processus nécessite une forte collaboration on sein du secteur.
La deuxième clé est la traçabilité. Tout comme dans le secteur de la distribution qui doit assurer la traçabilité de denrées alimentaires avec des filières agréées et pérennes, le secteur de la construction devra inévitablement tracer les éléments afin de garantir au maitre d’ouvrage que tout est bien conforme.
Le digital et l’Iot devront aussi permettre demain de créer la confiance et de partager la connaissance et la compétence. La documentation correcte des nombreuses et méconnues initiatives de réemploi sera facilitée par la digitalisation.
La digitalisation a besoin de liens sociaux réels entre les acteurs
Au-delà de la digitalisation, la compréhension de l’utilisateur et le lien social entre les personnes restent les éléments essentiels qui permettront de résoudre les problématiques de réemploi des ressources du bâtiment. Uber et Blablacar le démontrent d’ailleurs.
La dimension sociale et la compréhension des écosystèmes sont aussi les piliers du « codesign ». La méthode de l’architecte MG Taylor permet ainsi d’aligner des équipes pour résoudre des problèmes complexes en relation avec l’utilisateur final. C’est exactement ce que doit appliquer le secteur de la construction. Il faut décloisonner les relations entre le maitre d’ouvrage, le maitre d’œuvre, les entreprises présentent sur le chantier, l’architecte,… L’architecte doit reprendre sa place. L’avenir doit être envisagé en trouvant l’équilibre des éléments entre digitalisation, collaboration, codesign, et réemploi.